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Dis-moi merde !

Il est minuit passé et le boulevard Bonrepos est plein d’échos, ponctués de silences étranges. Au sortir de la Maison du Vélo, c’est fou comme mes talons résonnent forts le long des murs de briques. Le concert était moyen bien mais j’y étais pour faire plaisir. Et quelle idée d’avoir mis ces chaussures de fille ! Il me faut parcourir un kilomètre pour récupérer ma voiture. Pourquoi m’être garée si loin ? Ce n’est pas l'endroit toulousain le plus glam, ni le plus fréquenté à cette heure. Pourtant à l’aller, et en pleine lumière, la distance me paraissait raisonnable...

Je l’ai repérée de loin. Bien sûr qu’elle m’a vue, je suis la seule à marcher alentour. Ne pas ralentir. Ne pas stopper net, c'est malpoli. Continuer de claquer du talon. J'avance avec un peu d’appréhension. C’est la culpabilité. Quand une femme croise une autre femme, l’une prostituée et l’autre… rien, juste une femme qui rentre peinarde chez elle après un concert moyen bien… elles se parlent ?

Le jour, les trottoirs et chemins le long du canal appartiennent aux joggeurs et aux cyclistes ; la nuit, c’est le cheminement des abandonnés, des prostituées. Selon la météo, les saisons, l’heure de la journée, chacun y passe sans se croiser, jamais. Ambiance. Donc je marche vite. Sans être trouillarde, je n’aime pas glander dans les lieux désertés vers minuit et des poussières. Rapport à l'heure, mauvais symbole des vieux polars et des séries TV françaises.
Elle voit bien que je ne suis pas un potentiel client mais me reluque tout de même. Enfin vu la distance, il me semble qu’elle regarde dans ma direction. Il y a juste deux trois détails qui m’intriguent. La blondeur des cheveux déjà. Un platine flamboyant, une coiffure à la Marilyn. 
Je sais ! C’est la taille. 

Cette femme est immense, d’une belle allure aussi. Plantureuse, avec de longues jambes. Et des talons deux fois plus hauts que les miens. Je suis sûre qu’elle marche mieux avec que moi. Là elle ne bronche pas, le buste droit, poitrine en avant, chevilles croisées, juste sa tête tournée vers moi. Je viens de piger : c’est un homme.
Très apprêté, féminisé à outrances. Les cheveux ? Une perruque sûrement. Un homme. Et qui me regarde arriver vers lui, ou elle, on s’en fout. Et parce que l’on s’en fout, je m’applique à avoir l’allure la plus naturelle possible. Je suis la passante qui rejoint sa voiture. Action. 

Nous nous regardons. Nous nous sourions.
Bonsoir …
Elle a un beau sourire de rouge à lèvres.
Bonsoir...

De sa voix de basse, un peu voilée, enrouée, une voix de fumeuse, elle me murmure autre chose. Je ne comprends pas bien, ralentis mon allure et la regarde mieux.
Elle me répète dans un souffle : « Dis-moi Merde ! ».

Une voiture passe mollement son chemin. La nuit est au ralenti. Même les éclairages du boulevard sont faiblards. J'inspire puis, lentement, fais une complète volte-face avant de me figer bien droite face à elle.
Elle attend.
Alors je lui lance le plus chaleureux, le plus solidaire Merde  que je peux lui offrir. J’articule bien.
Elle me remercie de son large sourire et d'un hochement de tête approbateur. On s’est tout dit. Je continue ma route, talons claquants, le sac à mains en bandoulière et les mains dans les poches.

Je ne saurai pas pourquoi elle avait besoin d’entendre le mot porte-chance. Voulait-il, voulait-elle se faire beaucoup de clients ou ce Merde allait-il l'empêcher de croiser de violents connards? Je ne saurai jamais. Mais le silence, un instant, nous fut plus doux, plus rassurant.

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